Le JDD publie en exclusivité une lettre adressée par plusieurs organisations écologistes et paysannes au ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll, qui rencontre lundi ses homologues européens à Bruxelles. L’enjeu des discussions : négocier la réforme de la politique agricole commune après 2013. La PAC est une énorme machine redistribuant quelque 9 milliards d’euros pour les agriculteurs français.
“Monsieur le ministre de l’Agriculture, dès votre arrivée, vous avez déclaré que votre priorité serait la réforme de la Politique agricole commune (PAC). Vous avez ajouté qu’il était nécessaire de se pencher sur le sens qu’on devait donner aux agricultures française et européenne et sur les perspectives qui leur permettront, dans leur diversité, de se développer et d’assurer emplois et richesse. Pourtant, comme votre prédécesseur, votre priorité est le maintien du budget de la PAC au niveau actuel, la réforme semblant être avant tout un enjeu d’ordre quantitatif plutôt que qualitatif : “Sauvons l’enveloppe annuelle de 9 milliards, on verra plus tard pour le contenu…”
A l’heure où la PAC fête ses 50 ans, vous n’ignorez rien de la profonde crise de légitimité de la première politique communautaire qui a cimenté l’Europe. Ses résultats sont d’autant plus controversés que l’objectif affiché de la Commission est dorénavant le soutien aux revenus agricoles.
Or rares sont les décideurs publics à pointer l’échec social de la PAC : distribution très inéquitable des aides, hémorragie des emplois (-25% en 10 ans dans l’UE), très faible taux de renouvellement des générations en agriculture (7% ont moins de 35 ans). Sans oublier l’échec environnemental : 96 % des eaux de surface polluées par les pesticides en France et disparition de la moitié des oiseaux agricoles en Europe depuis 1980.
Comme l’a justement souligné un récent rapport de la Cour des comptes européenne, la PAC est plus une politique de moyens que de résultats. Ses modalités d’intervention -au travers des aides directes- sont individuelles et mal ciblées.
30% de nos denrées alimentaires finissent à la poubelle
Le maintien d’une PAC forte se justifie si elle met en place une agriculture réellement durable à l’échelle européenne et mondiale. Il faut tordre le cou aux incantations appelant l’Europe à “nourrir le monde”. En réalité, c’est bien l’UE qui est nourrie par les pays en développement. 30% de nos denrées alimentaires finissent dans nos poubelles.
Ces objectifs supposent notamment de :
– Réorienter les aides directes vers une véritable écologisation des systèmes agricoles, basée sur des rotations culturales plus longues, la protection des pâturages permanents et au moins 10% d’infrastructures agro-écologiques sur les exploitations. Hélas, la France, au sein du Conseil des ministres de l’agriculture, contribue activement au détricotage des propositions déjà insuffisantes de la Commission. Nous ne saurions cautionner que 370 milliards d’euros continuent à être dépensés avec pour effet de dégrader des écosystèmes qu’il faudra ensuite restaurer.
– Sécuriser les mesures agro-environnementales et climatiques. La France doit absolument soutenir un renforcement budgétaire dans ce domaine qu’elle a trop longtemps négligé. Ces mesures constituent un levier pour engager la transition vers une agriculture durable.
– Conditionner les aides en fonction des emplois agricoles et de critères environnementaux, des niveaux de prix et non du seul nombre d’hectares ou d’un niveau de production des exploitations. Actuellement, une part importante des aides profite à des bénéficiaires qui n’en ont pas besoin.
– Tourner la page des subventions aux produits exportés. Il faut défendre la mise en place d’un mécanisme d’évaluation et de correction des impacts de la PAC sur l’agriculture et la souveraineté alimentaire des pays du Sud.
Monsieur le ministre de l’Agriculture, la réforme de la PAC que vous allez négocier au nom de la France constitue une opportunité unique pour re-légitimer la PAC aux yeux des citoyens européens. C’est l’occasion d’amorcer la transition nécessaire vers une agriculture durable et juste.
Les organisations d’agriculteurs, de solidarité internationale et de protection de l’environnement que nous représentons seront extrêmement vigilantes. Vous devez défendre une réforme ambitieuse en faveur d’une PAC qui soit au service d’un nouveau partenariat entre les agriculteurs et les citoyens européens, en solidarité avec les paysans du monde. Faute de quoi, nous ne pourrions soutenir une politique faisant un mauvais usage des deniers publics. La vraie réforme de la PAC, c’est maintenant !”
Isabelle Autissier et Serge Orru, présidente et directeur général du WWF France – Jacques Berthelot, administrateur, Solidarité – Yves Berthelot, président, Comité français pour la solidarité internationale (CFSI) – Xavier Bonvoisin, Chrétiens en monde rural (CMR) – Allain Bougrain-Dubourg, président, Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) – Stéphanie Cabantous, administratrice, MIRAMAP – Jacques Caplat, coordinateur, Agir pour l’environnement – Philippe Collin, porte-parole, Confédération paysanne – Jérémie Godet, président, Mouvement rural pour la jeunesse chrétienne (MRJC) – Armina Knibbe, présidente, Réseau Cohérence – Martine Laplante, présidente, Les Amis de la Terre – Jacques Maret, administrateur, Environnement démocratie et développement durable (E3D) – Dominique Marion, président, Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) – Jean-Marc Bureau, président, Fédération nationale des centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (FNCIVAM) – Jacques Morineau, président, Réseau Agriculture durable – Cécile Ostria, directrice générale, Fondation Nicolas Hulot – Pierre Perbos, président, Réseau Action climat – Xavier Poux, administrateur, Forum européen pour le pastoralisme et la conservation de la nature (EFNCP) – Joseph Racapé, administrateur, Dossiers et débats pour un développement durable (4D) – Jean-Paul Sornay, président, Peuples solidaires – François Veillerette, président, Générations futures – Sjoerd Wartena, président, Terre de liens