Cet article est en lien avec la projection du film Des solutions locales pour un désordre global, Samedi 10 avril, 20h30 au Théâtre du lycée Michelet (voir le programme détaillé). Il a été écrit par Béatrice Héraud, et publié le 06/04/2010 dans Novethic
« Les films d’alertes et catastrophistes ont été tournés, ils ont eu leur utilité, mais maintenant il faut montrer qu’il existe des solutions, faire entendre les réflexions des paysans, des philosophes et économistes qui, tout en expliquant pourquoi notre modèle de société s’est embourbé dans la crise écologique, financière et politique que nous connaissons, inventent et expérimentent des alternatives. » En présentant ainsi son film, « Solutions locales pour un désordre global »*, Coline Serreau a des arguments tentants face au ton pessimiste adopté par la majorité des documentaires environnementaux récents. Pourtant, le titre du film ne cache pas son côté militant et la cinéaste ne tente pas d’enjoliver le grand désordre agricole provoqué par des années de productivisme.
Le tableau s’annonce donc d’abord bien sombre. Car c’est en évoquant le lien entre la guerre et la naissance de l’agriculture moderne que s’ouvre le film : « c’est l’invention du gaz moutarde qui va donner tous les insecticides », rappelle ainsi Dominique Guillet, le président de Kokopelli, une association qui milite pour la sauvegarde de la biodiversité des semences. Semences dont certaines, locales, sont encore interdites au profit d’autres, non reproductibles, mais commercialisées par des multinationales telles que Monsanto…On voit aussi le couple d’ingénieurs agronomes Claude et Lydia Bourguignon, s’insurger contre les aberrations telles que la création des tomates carrées ou des poulets sans plumes et se révolter contre la mort des sols tués par des labours trop profonds et fréquents. Tant et si bien que « bientôt, quand on se mettra à table, plutôt que de se souhaiter bon appétit, il faudra se souhaiter bonne chance », ironise le pionner de l’agriculture biologique, Pierre Rabhi.
Des solutions locales mais globalement partagées
Avant d’en arriver là cependant, des alternatives peuvent être mises en place. Et elles naissent déjà un peu partout dans le monde. Coline Serreau en a la preuve. De ses voyages au Maroc, en Inde, au Brésil, en Ukraine ou en Suisse, elle a rapporté 170 heures de rushes – « de la matière pour faire 6 films », précise-t-elle – mais surtout une conviction : « une révolution est faisable, mais elle viendra de la base », affirme celle qui se voit comme « un passeur de relais entre les gens qui ont les solutions et ceux qui ne les voient pas ». Car « ce qui est étonnant, c’est que des gens qui ne se connaissent pas, disent la même chose, aux quatre coins du monde », souligne Coline Serreau.
On voit ainsi Pierre Rabhi, l’ami de la cinéaste qui lui a inspiré le film, enseigner son savoir à des paysans marocains, les efforts des membres du Mouvement des sans terre au Brésil qui doivent se battre contre les préjugés, le succès d’expérimentations agricoles au Vietnam et en Inde, ou encore Antoniets Semen Sviridonovitch, ex-directeur de kholkoze en Ukraine, qui s’est reconverti dans l’agriculture bio, suite aux effets des pesticides sur les femmes travaillant sur ses terres. Avec succès puisque ses 8000 hectares certifiés eco-cert depuis 2006 obtiennent les meilleurs rendements du district… « On parle tout le temps de la biodiversité mais je n’ai véritablement compris ce que c’était qu’avec ce film », avoue Coline Serreau.
Malgré des lourdeurs et des passages discutables sur la responsabilité du patriarcat dans le désordre global décrit par Coline Serreau, le documentaire reste donc porteur d’espoir. Avant même sa diffusion dans le circuit classique, le film co-produit par l’association Colibri que préside Pierre Rabhi, a beaucoup circulé en projection privée, à la demande d’associations. Avant même sa sortie nationale le 7 avril, le documentaire a été vu par plus de 200 000 spectateurs… Et sur le site internet qui prolonge le film, une partie « J’agis » enjoint les spectateurs à passer à l’acte. Car ces initiatives au départ très locales et éclatées commencent à attirer l’attention. « Pendant longtemps, on ne nous a pas appelé dans les lycées agricoles, maintenant ce sont les élèves qui nous demandent de venir ! », s’enthousiasme Claude Bourguigon. Une victoire pour celui qui a quitté l’INRA par conviction, pour fonder, avec sa femme, son propre laboratoire de recherche et d’analyse en microbiologie des sols (LAMS), une discipline qui n’est aujourd’hui plus enseignée…
*Diffusé à partir du 7 avril, le documentaire est accompagné d’un livre publié le 19 avril aux éditions Actes Sud